Abondance et composition
Pourquoi
les espèces sont-elles si nombreuses? | La variabilité
de l'environnement | Les niches écologiques
| Les espèces pivots | Les
catastrophes | Le hasard
La diversité peut s'appauvrir
et s'enrichir selon les mécanismes décrits ci-dessus, mais elle peut aussi
se modifier au gré de l'évolution du nombre relatif des représentants
dans chacune des espèces présentes ou au gré de l'évolution de l'agencement
des espèces dans la région considérée. Cette rubrique analyse les raisons
de la présence des différentes espèces dans une aire donnée, leurs effectifs
respectifs et leurs interactions. Nous examinerons deux méthodes théoriques
utilisées pour rendre compte du développement de la diversité et nous
ferons le point sur différents facteurs susceptibles d'influer sur l'abondance
et la composition.
Pourquoi
les espèces sont-elles si nombreuses?
Quand on s'intéresse à la
biodiversité, on s'étonne souvent de constater le nombre considérable
des espèces qui peuplent la planète. Comment se fait-il que, dans une
région donnée, par exemple, l'une d'elles ne finisse pas par prendre le
dessus sur les autres et par les éliminer? La réponse est simple : aucune
espèce ne peut atteindre la perfection dans tous les domaines. Chacune
d'elles doit donc trouver un point d'équilibre entre les diverses aptitudes
qu'elle peut développer. Les espèces qui nous entourent sont le fruit
de ces compromis. Chaque espèce doit par exemple trouver un juste milieu
entre l'aptitude à lutter contre les autres et la capacité à propager
sa descendance; l'aptitude à survivre dans des conditions moyennes et
la capacité à tirer parti d'un brusque accroissement d'une ou plusieurs
ressources; ou encore, elle doit établir un bon équilibre entre les diverses
compétences indispensables pour concurrencer les autres afin de s'approprier
les ressources dans un environnement changeant. En conclusion, le nombre
élevé des espèces qui peuplent la planète s'explique par le fait qu'elles
occupent toutes des niches écologiques différentes.
La
variabilité de l'environnement
Si
l'environnement change d'une manière ou d'une autre, les espèces spécialisées
pour vivre dans ces conditions nouvelles s'y établissent et le nombre
des espèces présentes augmentent à mesure que la modification s'intensifie.
La variation ouvre en fait des niches aux espèces nouvelles. Pour des
variations dans l'espace (sur le roc nu ou dans des zones marécageuses,
par exemple), chaque espèce spécialisée s'établit dans l'aire qui lui
convient le mieux. Les structures tridimensionnelles, par exemple les
arbres et les lits de varech, offrent des variations plus marquées et
permettent ainsi la coexistence d'espèces plus nombreuses. Si la variation
se produit dans le temps (par exemple, l'alternance des saisons), la région
ne présente pas la même diversité selon l'époque considérée. Ainsi, les
éphémères sont des plantes qui se développent juste avant que les feuilles
ne poussent aux arbres et ne réduisent l'ensoleillement au sol. Elles
ne vivent qu'au début du printemps, et seulement si elles peuvent alors
bénéficier d'une luminosité suffisante.
Les
niches écologiques
La niche écologique correspond
au « rôle » que joue l'espèce dans la communauté. La niche peut se définir
comme étant l'ensemble des conditions dont l'espèce a besoin pour survivre,
ou le mode de vie caractéristique de cette espèce. Par exemple, les grands
herbivores de pâturage occupent une niche qui leur est propre. La diversification
induit nécessairement une différenciation des niches. En d'autres termes,
chaque espèce tend à se trouver une niche qui lui permettra d'éviter la
compétition, de ne pas avoir à lutter directement contre les autres espèces
pour s'approprier les ressources. Quand deux espèces doivent se partager
une niche, l'une d'elles finit toujours par éliminer l'autre pour prendre
toute la place.
L'occupation des niches
La théorie de l'occupation des niches est l'une des approches utilisées
pour expliquer le nombre des espèces présentes dans une région et leurs
abondances relatives. Tout écosystème possède une quantité limitée de
ressources, et l'on peut supposer que certaines règles déterminent la
manière dont elles sont utilisées. Les principes qui régissent la répartition
des ressources entre les différentes espèces et la répartition de ces
espèces entre les différentes niches (c'est-à-dire l 'occupation des
niches) déterminent aussi le nombre des espèces qui peuvent coexister
dans le système ainsi que l'abondance de chacune d'elles (son effectif).
Les espèces s'agrègent une par une au système selon des critères précis,
par exemple : l'espèce investit des niches vides ou déjà occupées; la
taille de la niche exerce ou non une incidence sur ses probabilités
d'être envahie; etc.
Dans l'illustration de droite,
chaque barre représente le total des resso urces
accessibles à la communauté et chaque couleur désigne une espèce différente,
la superficie étant proportionnelle à l'effectif (le nombre des individus
de l'espèce considérée). Les deux barres représentent le même nombre
d'espèces, mais leur agencement s'est fait selon des principes différents.
Les espèces occupent des niches de tailles diverses. L'une d'elles (représentée
par la couleur rouge) domine le système du bas. Dans celui du haut,
elle est légèrement plus abondante que les espèces représentées par
les couleurs orange et jaune, mais sans plus.
Les experts utilisent deux
méthodes pour étudier l'occupation des niches. La première consiste
à examiner d'abord la manière dont les espèces s'agencent dans la nature,
puis à tenter de définir les règles qui permettent de prédire avec le
plus d'exactitude possible les résultats observés dans la réalité. La
seconde consiste à déterminer la composition des niches à partir de
diverses théories, puis à comparer les résultats obtenus à la réalité.
Ces deux approches présentent un même inconvénient : les principes utilisés
pour prédire l'occupation peuvent effectivement produire des schèmes
identiques à ceux que l'on constate dans la nature, mais sans pour autant
que les espèces suivent effectivement ces principes pour s'agencer entre
elles dans le système.
La
théorie du rassemblement
La théorie du rassemblement explique pourquoi certains types d'espèces
coexistent dans une même communauté. Pour définir les principes de ce
rassemblement, la méthode consiste à considérer une communauté théorique
complètement déserte, puis à y intégrer des espèces une par une selon
certaines règles. Cette approche se distingue de celle de l'occupation
des niches en ceci qu'elle s'intéresse aux niches remplies, pas seulement
à la taille des niches que les espèces occupent. La notion de concurrence
diffuse (la concurrence à laquelle une espèce est soumise de la part
d'autres espèces, lesquelles entretiennent souvent d'étroites relations
avec elle) joue un rôle majeur dans cette approche car chaque nouvelle
espèce est traitée comme un envahisseur et doit arriver à s'insérer
dans une communauté déjà bondée.
À chaque étape, ce sont
les espèces en place et les règles du rassemblement qui déterminent
les espèces qui viendront s'ajouter. L'un des principes les plus courants
dans ces modèles stipule qu'une nouvelle espèce, pour s'intégrer à la
communauté, doit investir la niche qui est la plus distincte de celles
qu'occupent déjà les espèces en place. Par ailleurs, des aires similaires
n'hébergent pas forcément les mêmes espèces, car l'ordre dans lequel
les espèces colonisent les lieux détermine les chances de succès des
futures candidates à l'invasion. En comparant les résultats prédits
par les modèles aux schèmes effectivement observés dans la nature, les
experts en viennent graduellement à mieux comprendre la façon dont les
communautés se forment.
Les
espèces pivots
Une espèce est dite « pivot
» (ou « clé ») quand elle joue dans l'écosystème un rôle disproportionné
par rapport à son abondance. Son importance est souvent attribuable à
la niche qu'elle occupe et au fait que ses interactions avec les autres
espèces exercent un impact sur le système dans son ensemble, pas seulement
sur les espèces avec lesquelles elle est en relation directe. La disparition
ou l'arrivée d'une espèce pivot peut avoir des conséquences majeures pour
les autres espèces et donc, induire des changements considérables dans
la communauté. La cascade d'interactions qui en découle peut même produire
un effet très marqué sur l'écosystème dans son ensemble.
La
loutre marine (Enhydra lutris) compte au nombre des espèces pivots
les mieux connues. Elle vit dans les eaux qui bordent la côte ouest, où
vit aussi l'oursin, l'une des proies les plus capitales pour elle. Les
oursins se nourrissent d'algues, et notamment de varech. En endiguant
l'essor de la population d'oursins, la loutre de mer aide donc indirectement
le varech à proliférer ou, à tout le moins, à survivre. Or, tout accroissement
de la masse de varech entraîne une baisse du nombre des balanes, des moules
et des chitons. Par contre, l'effectif des espèces de poissons qui peuvent
se servir du varech pour se cacher et se protéger augmente, ainsi que
celui des autres espèces qui tirent avantage de cette structure environnementale.
Ainsi, les lingues de roche, les phoques communs et les aigles à tête
blanche sont plus nombreux dans les régions qui abritent des loutres marines.
Dans certaines régions, la disparition de ces loutres a permis aux oursins
et autres herbivores de s'attaquer massivement au varech et d'en faire
baisser grandement les lits, laissant ainsi aux balanes et aux moules
le champ libre pour prospérer au détriment d'autres espèces.
Le castor est également une
espèce clé du Canada. À la différence de la loutre de mer, on le trouve
sur l'ensemble du territoire canadien. En construisant leurs barrages,
les castors provoquent des inondations qui modifient des surfaces considérables
de terrain. Tant que ces barrages sont utilisés par leurs bâtisseurs,
ils forment des mares et des lacs susceptibles d'accueillir de nombreuses
espèces aquatiques. Une fois le plan d'eau empli de sédiments, le processus
de la succession commence (voir plus haut la section sur l'enrichissement
et l'appauvrissement de la diversité). Si les castors disparaissent d'une
région, une bonne partie des espèces qui vivaient dans les mares délimitées
par leurs barrages baissent en effectif, ou disparaissent à leur tour
de la région.
Les
catastrophes
Les perturbations et les catastrophes
changent l'agencement des espèces et leurs abondances relatives dans l'écosystème
touché. La catastrophe exerce un impact surtout au niveau de la succession,
puisqu'elle ramène l'aire touchée à une étape antérieure de son développement.
Elle trouble par conséquent l'uniformité de la succession d'ensemble et
permet à des plantes et des animaux qui auraient disparu aux stades ultimes
de subsister dans certaines régions du système.
La présence d'espèces de stades
antérieurs accroît la diversité. La perturbation localisée induit aussi
une accélération de la succession dans les aires touchées en ceci que
les espèces nécessaires à la mise en place des différentes étapes se trouvent
déjà dans les autres régions des alentours qui ont été perturbées récemment.
Le
hasarde
Enfin, le hasard peut intervenir
grandement dans la composition et l'abondance d'un écosystème donné. Ainsi,
l'ordre dans lequel les espèces colonisent une forêt peut déterminer quelle
sera l'essence dominante (voir plus haut la théorie du rassemblement).
En général, les insectes spécialisés pour parasiter une certaine plante
disparaissent si cet hôte vient à disparaître, et ce, même s'ils sont
parfaitement adaptés et qu'ils possèdent de bons atouts pour prospérer.
Si ces insectes avaient parasité une autre plante, ils n'auraient pas
subi d'extinction.
Des
conditions défavorables peuvent exercer un impact déterminant sur les
espèces peu abondantes, qu'elles se trouvent en phase d'invasion (de colonisation)
ou qu'elles soient établies de longue date dans la région, mais d'une
manière précaire. Ainsi, les années pluvieuses sont bénéfiques pour les
champignons, mais les années de sécheresse leur sont néfastes. Les conditions
externes peuvent aisément décider du sort, échec ou prolifération, d'une
espèce de champignons qui en est à sa première année de présence dans
un territoire.

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